Marjane Satrapi lève le voile sur son pays

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©l'Association (cliquez sur l'image pour voir la couverture en entier)



  Titre : Persepolis
Auteur : Marjane Satrapi
Édition : L'Association
Nombre de pages : 365 pages
Parution : Mai 2007
ISBN : 9782844142405




Toute petite, Marjane voulait être prophète. Elle se disait qu'elle pourrait ainsi soigner le mal de genoux de sa grand-mère. En 1979, l'année de ses dix ans et de la révolution iranienne, elle a un peu oublié Dieu. Elle s'est mise à manifester dans le jardin de ses parents en criant "à bas le roi !". Là, elle s'imaginait plutôt en Che Guevara. Il faut dire qu'à l'époque, son livre préféré s'appelait Le Matérialisme dialectique. Marjane trouvait d'ailleurs que Marx et Dieu se ressemblaient. Marx était juste un peu plus frisé, voilà tout. Après, la vie a continué, mais en beaucoup moins drôle. La révolution s'est un peu emballée. Et la guerre contre l'Irak est arrivée… Dans Persepolis, Marjane Satrapi raconte son enfance sur fond d'histoire de son pays, l'Iran. C'est un récit drôle et triste à la fois, parfois cocasse, souvent touchant. Mais toujours passionnant. C'est aussi un petit événement : il s'agit de la toute première bande dessinée iranienne de l'Histoire…

Après avoir longtemps hésité, remis ce livre à plus tard, je me suis enfin attelée à la lecture de ce classique de la bande dessinée. Maintenant, une seule question me vient : pourquoi avoir attendu si longtemps ?

Pour rappel, l’œuvre a été initialement publiée en quatre tomes. La première partie retrace l'enfance de Marjane à Téhéran, la révolution iranienne qui a donné lieu à la République Islamique, les changements que cela a entraîné dans le pays et au sein même de sa famille. Dans la seconde partie, Marjane est plus âgée et découvre les conséquences déplorables de ce nouveau régime ainsi que de celles de la guerre entre l'Iran et l'Irak. Elle tente alors de contrer le pouvoir en prenant part aux révoltes avec ses parents, ou manifeste de manière plus pacifique en écoutant Kim Wilde et Iron Maiden tout en chaussant des Nike et une veste en jean. La troisième partie rend compte de sa vie en Autriche (qu'elle a rejoint pendant quelques années par sécurité). Du haut de ses quatorze ans, elle affronte seule son adolescence dans un monde occidental qui lui est complétement étranger. Si ses parents pensaient la sauver en l'envoyant dans ce pays, la vie qu'elle va y mener entre anarchisme, drogue, amour, sexualité et précarité en est tout autre. Après une rupture difficile qui lui vaudra bien de mauvaises choses, elle décide de rentrer chez elle en Iran. La dernière partie se consacre donc à son retour où elle se retrouve à nouveau privée de liberté. Pour autant, elle va continuer à lutter de différentes manières, en proposant par exemple un nouvel uniforme pour les filles de son université. La bande dessinée se termine sur son départ pour la France.

C'est un récit vraiment poignant qui témoigne d'une bien triste réalité, mais qui ne tombe jamais dans le pathos. Marjane a toujours eu une force de caractère incroyable, un franc parler sans égal que l'on apprécie à la lecture. Curieuse et instruite, malgré quelques passages à blanc et une dépression, elle a toujours su remonter la pente et n'a jamais baissé les bras pour obtenir ses droits.

Plus qu'autobiographique, cette bande dessinée est un réel témoignage qui nous permet de voir les choses sous un autre angle que celui qu'on nous donne à voir en Europe. On en apprend notamment plus sur la politique et les problèmes qui régnaient à l'époque, sur les propos qui étaient tenus dans le pays (et qui font malheureusement tellement échos à ce que l'on entend encore aujourd'hui) :

Le système éducatif  ainsi que les propos des livres scolaires et universitaires sont décadents. Il faut revoir tout cela pour que nos jeunes ne s'éloignent pas du chemin de l'Islam. C'est pourquoi nous fermerons toutes les universités pour une durée limitée. Mieux vaut ne pas avoir d'étudiants du tout que d'éduquer de futurs impérialistes.
Précisons que si les femmes étaient obligées, sous peine d'emprisonnement, de se voiler, le port de la cravate (symbole de l'Occident) était formellement interdit aux hommes et que si les cheveux des femmes excitaient les hommes, les bras nus des hommes excitaient les femmes aussi : porter des chemises à manches courtes était également interdit.

Ce que j'ai apprécié dans cette histoire, c'est qu'elle ne fait de cadeau à personne. Elle critique autant le régime islamique de son pays que les puissances mondiales de l'Occident qui ont participé aux horreurs de ces guerres en Moyen-Orient.

Les Allemands vendent des bombes chimiques à l'Iran et à l'Irak. Les blessés sont ensuite envoyés en Allemagne pour se faire soigner. De vrais cobayes humains.

Quant aux dessins, même si on peut dire qu'ils ne sont pas très travaillés, que le coup de crayon est assez simple, il n'en reste pas moins qu'ils reflètent très bien l'histoire racontée. Pas besoin de couleurs, le noir et le blanc conviennent parfaitement et tranchent très bien avec ce qui est dit.

 
J'aimerais terminer cet article avec un extrait d'une interview de Marjane Satrapi pour Le Point en mars 2015, dont j'ai trouvé les propos vraiment pertinents et donnant matière à réfléchir :

En revanche, il ne faut pas confondre talibans et Iraniens. En Iran, le régime n'a jamais interdit aux filles d'aller à l'école. Au contraire, même notre prof de religion nous disait que le Prophète voulait que les filles soient éduquées. 60 % des étudiants en Iran sont des filles, et pas uniquement dans le secteur des sciences humaines, mais aussi en ingénierie ou en médecine... Là-bas, j'avais un foulard sur la tête, une clope au bec, et je conduisais une jeep de la Seconde Guerre mondiale. J'ai mis des baffes à des hommes, j'ai écouté les Rolling Stones. Personne ne m'a empêchée de faire ça. Je pense que les États-Unis, certes trop tard, ont enfin compris que les fondements de Daesh se trouvaient en Arabie saoudite. Pour les wahhabites, les plus grands ennemis sont les chiites, qui sont encore plus mal vus que les non-croyants. Finalement, l'ennemi de vos ennemis devient votre ami. Sincèrement, si on me demandait aujourd'hui de vivre en Afghanistan, en Arabie saoudite, au Koweït ou en Iran, je choisirais sans hésiter l'Iran. Vous avez une vraie classe intellectuelle, une culture. Et il y a des femmes chauffeurs de bus. Ça n'a jamais été interdit.

Pauline, fondatrice de Mangeons les livres

J'ai lancé ce blog en 2015 afin d'échanger avec vous sur mes lectures, mais aussi pour garder une trace de toutes ces histoires qui me passent entre les mains. J'aime me nourrir de livres, et si vous aussi, alors mangeons les livres ensemble ! Si vous souhaitez me contacter, vous pouvez m'envoyer un email à mangeonsleslivres@gmail.com, et/ou me rejoindre sur mes réseaux sociaux.

2 commentaires:

  1. Je n'ai pas encore lu ce "classique de la bande dessinée" et à te lire, c'est une erreur à corriger !

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